A l’issue de notre discussion, Cédric Matthews et son collègue Laurent Héliot, également Ingénieur de Recherche CNRS et directeur du Groupement de Recherche MIV (Microscopie et Imagerie du Vivant) nous ont adressé un texte que nous portons à votre connaissance.

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La biophotonique constitue une discipline émergente depuis le début des années 2000. Elle s’adresse très directement, mais aussi de manière indirecte et plus fondamentale aux enjeux sociétaux. Elle couvre les sciences de la vie, la santé humaine (oncologie, ophtalmologie, maladies neurodégénératives, maladies cardiovasculaires…), la santé animale, l’environnement, l’agroalimentaire et la biométrie dans son acception large (sécurité des personnes et capteurs biologiques). La biophotonique porte sur : «l’utilisation des rayons visibles, ultra-violets, infrarouges pour l’analyse, le traitement, ou la modification d’objets biologiques complexes ». Le marché industriel potentiel de la biophotonique est estimé à quelques dizaines de milliards d’euros avec une croissance supérieure à 10% par an sur les 20 dernières années. La progression potentielle estimée est de l’ordre d’un facteur 6 pour les dix années à venir. Différentes études internationales mettent en évidence un contexte de forte compétitivité liée en particulier à l’existence d’un large marché de 63 Milliards de dollars.

Les enjeux industriels sont tels que certains pays comme les Etats‐Unis, le Royaume‐Uni, le Canada ou encore l’Allemagne ont décidé de mener une politique très active dans ce domaine de la biophotonique, qui se traduit par la mise en place de soutiens conséquents à la recherche et au développement. Aux Etats‐Unis, la NSF (National Science Foundation) investit 52 millions d’euros sur 10 ans pour le Centre de Biophotonique à l’Université de Davis en Californie (http://cbst.ucdavis.edu/), et contribue largement au premier programme national d’études supérieures spécialisées en biophotonique. Cela nécessite des moyens humains et matériels importants et une grande liberté d’investigation,  à l’image du Janelia Farm inauguré en 2006 près de Washington (http://www.hhmi.org/janelia/). En Allemagne, il existe un réseau de recherche avec une cinquantaine de projets et des applications dans les domaines de la médecine et chirurgie, de l’environnement et de l’agroalimentaire (investissement de 50 millions d’euros sur 5 ans). Plus récemment, en France, le PIA a investi 25 millions d’Euros sur 10 ans dans l’infrastructure  France Bioimaging.

Depuis quelques années, en France, de nombreuses start-up et PME ont vu le jour dans le domaine de l’imagerie scientifique (Imagine Optic, Errol-laser, Phasics, Bioaxial, Oxxius, Phaseview, Abbelight, Iprasense…). Au niveau international, les principaux équipementiers se trouvent en Allemagne (Zeiss, Leica qui appartient au fond d’investissement Danaher)  et au Japon avec Nikon et Olympus. Récemment, General Electric ayant racheté l’américain Applied Precision s’est lancé dans la microscopie photonique à haute résolution.  Notons qu’il n’existe pas en France d’équivalent aux sociétés Zeiss ou Leica, qui pratiquent une stratégie de rapprochement avec les laboratoires pour capter l’innovation technique de rupture là où elle apparaît. Il subsiste donc un déficit du transfert efficace de technologie de l’échelle académique vers l’échelle industrielle. Ce sont souvent des start-up qui prennent le relais mais elles sont rapidement écrasées dans le rapport de force avec la « grande distribution de l’imagerie ». Un opérateur national d’envergure, proche des laboratoires académiques et ayant des capacités d’intégration rapide et concurrentielle des systèmes mis au point pour les commercialiser, aurait donc toute sa place aujourd’hui !

Les enjeux technologiques et scientifiques sont aussi extrêmement importants au niveau académique. Ainsi en 6 ans, deux prix Nobel de chimie ont été attribués pour des découvertes qui ont bouleversées l’imagerie. En 2008, Robert Tsien a reçu le prix Nobel de chimie avec Osamu Shimomura et Martin Chalfie pour la découverte et le co-développement de la protéine fluorescente verte (dite GFP)  extraite de la méduse Aequorea victoria. Cette protéine par construction génétique peut être greffée à une protéine d’intérêt, la rendant traçable par un microscope à fluorescence dans un tissu, à l’intérieur d’une cellule vivante. En 2014, un autre prix Nobel a été attribué à Eric Betzig, Stephan Hell et William E Moerner, pour le développement de la microscopie photonique à très haute résolution permettant de dépasser les limitations résolutives imposées par les lois de la diffraction.

Au niveau national, la communauté scientifique française a été l’une des premières à s’organiser de manière interdisciplinaire par la création en 2003 d’un groupement de recherche au sein du CNRS le GDR « Microscopie et imagerie du vivant » (http://gdr-miv.fr). Ce GDR regroupe plus de 110 laboratoires académiques et environ 25 entreprises nationales ou internationales du domaine de le biophotonique. Les activités du GDR portent sur l’animation et la veille scientifique, mais aussi sur la formation par l’organisation tous les deux ans d’une école thématique reconnue au niveau international: MiFoBio (Microscopie Fonctionnelle en Biologie). Cette école unique au monde de par son organisation (http://gdr-miv.fr/mifobio2016/), rassemble durant 7 jours, plus de 400 participants autour de cours, séminaires et ateliers pratiques réalisés sur des équipements mis à disposition par les laboratoires et plus de 35 partenaires industriels. Cette formation est également soutenue  par le réseau technologique RTmfm (http://rtmfm.cnrs.fr) qui regroupe les plates-formes technologiques académiques depuis 2003. En 2012, une partie de ces plateformes s’est organisée dans le cadre de deux infrastructures Nationales en Biologie Santé du PIA. D’une part France BioImaging-« FBI » https://france-bioimaging.org et d’autre part France Life Imaging « FLI » pour l’imagerie médicale https://www.francelifeimaging.fr. FBI est le représentant français dans le projet européen EurobioImaging  (http://www.eurobioimaging.eu/) de structuration des plates-formes en Europe.

Comme nous l’avions déjà analysé pour l’imagerie médicale, le dynamisme de la recherche ne se traduit pas dans le domaine industriel en France où trop peu d’investisseurs répondent à la demande. Alors, pourquoi pas, là encore, s’appuyer sur les compétences techniques et commerciales développées dans certains grands groupes nationaux pour construire un pôle industriel spécifique ?    

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