Nous retrouvons une grande convergence de vue entre l’analyse de la CGT et la feuille de route du CSF. Ce document reconnaît la difficulté à transformer les résultats d’une recherche technologique pourtant innovante et assez structurée dans le domaine de la santé.
Il reconnait également le handicap que représente l’absence d’un grand groupe français dans les Technologies de la Santé, handicap en termes de compétences économiques et en particulier pour l’exportation.
En effet, il n’existe pas en France de centres technologiques d’importance dédiés à la réalisation des prototypes nécessaires pour valider les concepts et les démonstrateurs de premier niveau, souvent réalisés dans le cadre de projets financés à court terme. Les rares centres de recherche restant de grandes entreprises qui sont en principe chargées d’évaluer le potentiel des résultats de recherche interne ou obtenus dans des projets partenariaux, de retenir et de développer les plus intéressants ont pratiquement tous perdu cette capacité faute de moyens matériels et humains. C’est le cas de Thales où tout développement doit être externalisé dans la phase où l’investissement devient conséquent et les résultats pas encore rentables. Il existe bien des plates-formes technologiques (réseau Renatech du CNRS), des laboratoires labellisés “Carnot” pour leur interaction avec les industriels mais ces structures demeurent essentiellement focalisées sur la recherche fondamentale.
De nouveaux dispositifs ont vu le jour ces dernières années, en particulier les SATT (Société d’Accélération de Transfert Technologique) mais elles sont surtout tournées vers la valorisation rapide de brevets. Les pôles de compétitivité, les IRT (Instituts de Recherche Technologique) qui regroupent chercheurs et industriels autour d’une thématique ont été conçus de manière à sortir des règles communes du service public, tant en termes de comptabilité que de statut des personnels. Les pôles constituent le plus souvent un réseau d’entreprises dont le principal objectif est de tirer le meilleur parti des subventions publiques. Critiqués, y compris par une partie du patronat, leur autonomie juridique rend tout contrôle réellement difficile et leur efficacité aléatoire pour la collectivité.
Une divergence majeure
Les propositions de la feuille de route des technologies de la santé ne dérogent pas à ce système. Il s’agit essentiellement de mesures financières ! Fédérer les start-up, les PME et les grandes entreprises au sein d’une Alliance, dans des lieux appelés “Medtech Cities” pour mieux bénéficier des financements publics via le Plan d’Investissement d’Avenir. La rencontre entre ces entreprises et la recherche publique est certes un point positif mais les formes de coopération restent les projets à court terme. C’était déjà l’objectif des pôles de compétitivité.
Ainsi, on rajoute une feuille au mille-feuilles existant du système d’innovation français mais aucun axe stratégique industriel important ne se dégage. Aucune véritable stratégie d’aboutissement à la création de sociétés pérennes, PME innovantes et à haute valeur ajoutée, ETI, voire nouveau groupe, à l’exemple de celles créées dans les années 1970. Apporter des fonds aux start-up pour leur croissance n’empêchera pas le départ de leurs compétences à l’étranger si elles n’ont d’autres perspectives que de se faire racheter par les grands groupes du secteur, trop heureux de bénéficier des développements financés en France. On sait aussi que ces derniers n’hésitent pas à les tuer si elles représentent une menace concurrentielle. Les exemples ne manquent pas.
Les enjeux à venir impliquent persévérance, compétences de haut niveau et moyens expérimentaux lourds, ce qui signifie continuité et qualité de l’effort consenti dans la durée, depuis la formation en passant par la recherche fondamentale jusqu’au développement industriel. Les moyens ne doivent pas dépendre des multiples guichets (ANR, PIA, FUI…) dont le mode d’attribution reste le projet à court terme.
Les enjeux sur l’économie du pays sont tels qu’ils devraient inciter à retrouver la voie des grands programmes mobilisateurs. S’il faut inventer de nouvelles structures, alors pourquoi pas se rapprocher du modèle allemand et de ses centres Fraunhofer qui mutualisent les moyens techniques et les compétences humaines et permettent aux entreprises d’effectuer leurs phases de développement dans un cadre adapté ? Certes les entreprises paient ces services qui leur assureront la compétitivité technique, alors qu’en France, elles veulent être payées pour faire du développement, la compétitivité étant alors comprise comme une diminution de leurs coûts !
Mais ce qui a bien marché et continue à marcher en France, ce sont les entreprises nées en s’appuyant sur des centres de recherche du type CNES etc. En un mot : le système d’innovation créé sous la présidence du général De Gaulle a parfaitement fonctionné parce qu’il correspondait à notre culture et parce qu’il a su mobiliser les forces endogènes de notre pays. Oui, il faut rassembler en un même “lieu” tous les acteurs associés aux thématiques de la santé, non pas pour pondre du projet “alimentaire” mais pour travailler ensemble au déploiement de la filière. L’idée d’une Alliance et de clusters à proximité soit des centres de recherche soit des entreprises du secteur n’est pas forcément à rejeter. C’est l’objectif final et les moyens mis en œuvre qui ne correspondent pas à l’ampleur des enjeux.